Plateforme des ONG Françaises pour la Palestine

La définition de l’antisémitisme de l’IHRA : nos libertés menacées

26 juillet 2019

Dans le monde entier les organisations de défense des droits des Palestiniens sont de plus en plus ciblées par des attaques et des tentatives d’assimiler leurs actions à de l’antisémitisme. Aujourd’hui, tout individu critique des politiques israéliennes risque cet amalgame, par une campagne de délégitimation et diffamation menée par le gouvernement israélien et les lobbies le soutenant, notamment ceux qui gravitent autour du ministère des Affaires stratégiques israélien. L’un des outils principaux de cette campagne qui est en vogue actuellement en Europe, c’est ladite « définition de travail de l’antisémitisme de l’IHRA » (ou « définition IHRA »), adoptée par un nombre croissant d’institutions. Aujourd’hui, c’est un groupe de députés français qui cherche à la faire approuver par une résolution à l’Assemblée nationale qui pourrait être votée en octobre.



La « définition de l’antisémitisme de l’IHRA », c’est quoi ?

L’IHRA (Alliance Internationale pour le Souvenir de l’Holocauste) est une organisation internationale visant à promouvoir la mémoire de l’Holocauste. Le 26 mai 2016, elle a adopté en plénière (cela ne signifie pas que les 31 membres de l’IHRA ont adopté la définition) une « définition de travail de l’antisémitisme » non contraignante : « l’antisémitisme est une certaine perception des juifs qui pourrait s’exprimer à travers la haine envers les juifs. Les manifestations verbales et physiques d’antisémitisme peuvent être dirigées à l’encontre de juifs ou de non-juifs ainsi qu’envers leurs biens, envers des institutions de la communauté juive ou des bâtiments religieux  ».

Cette définition est citée dans le communiqué de presse de l’IHRA dans un encadré et en gras au moment de son adoption. Le communiqué mentionne également des exemples, proposés et rédigés à l’origine par des lobbies pro-israéliens (comme l’American Jewish Committee), pour guider l’IHRA dans son travail. Or certains posent de graves problèmes pour la liberté d’expression sur la question israélo-palestinienne.

Un grave problème pour la liberté d’expression

Dès 2013, l’Agence européenne des droits fondamentaux retire la définition de son site Internet à cause de sa nature problématique. L’IHRA précise, elle, en 2017 que la définition est circonscrite au paragraphe encadré et ne comprend pas les exemples qui, eux, n’ont jamais été votés. Malgré cela, des groupes de pression pro-israéliens manipulent ces exemples pour les intégrer dans la définition et poussent les Etats et institutions publiques ou privées à adopter cette définition « élargie » dans le but de criminaliser et/ou entraver les personnes et organisations défendant les droits des Palestiniens et critiques des politiques israéliennes. Dernièrement, c’est l’organisation proche du gouvernement israélien NGO Monitor qui recommande explicitement l’adoption de la « définition de l’IHRA ». Les dessous de cette organisation et de ses objectifs ont été mis à jour dans le rapport du Policy Working Group « NGO Monitor : Shrinking space, diffamation des organisations des droits de l’homme critiques de l’occupation israélienne ».

Au Royaume-Uni et en Allemagne, des dizaines d’atteintes graves à la liberté d’expression ont été recensées, sur le seul fondement de cette définition qui n’est pourtant pas contraignante juridiquement. Il a pu s’agir d’annulations d’événements dans des universités, de refus de salles, mais également d’interdictions pour des étudiants de participer à des événements culturels complètement déconnectés de la question palestinienne, ou encore d’injonctions d’adhérer à la « définition IHRA » pour des professeurs afin de pouvoir enseigner ou participer à des conférences.

Plusieurs juristes ont averti des risques pour la liberté d’expression d’adopter la définition avec ses exemples, dont le professeur de droit international François Dubuisson qui en fait l’analyse. 40 organisations juives ont publié un appel demandant aux gouvernements de ne pas l’adopter, son but étant de « faire l’amalgame entre la critique légitime de l’Etat d’Israël ou la défense des droits des Palestiniens et l’antisémitisme, et ainsi supprimer ces derniers  ». En France, de nombreuses organisations, dont la Ligue des droits de l’Homme, et des personnalités de la société civile s’y sont opposées notamment à cause des risques qu’elle implique en termes de respect de la liberté d’expression.

La Commission nationale consultative sur les droits de l’Homme (CNCDH) a rappelé, dans ses deux derniers rapports sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, qu’elle n’est pas favorable à la transposition de la définition, invoquant notamment une incompatibilité avec le droit constitutionnel français et dénonçant « l’amalgame entre le racisme et la critique légitime d’un Etat et de sa politique » (Rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie 2018, page 25).

Qui a adopté ladite « définition de l’antisémitisme de l’IHRA » ?

A ce jour 10 Etats européens l’ont adoptée (formellement ou non) : la Roumanie, l’Autriche, l’Allemagne, la Bulgarie, la République Tchèque, la Slovaquie, l’Italie, la Slovénie, le Royaume-Uni et la Macédoine ; hors zone-UE. Israël et les États-Unis l’ont également adoptée.

Au niveau des institutions européennes, la Commission européenne promeut la définition sur son site et le Parlement européen a adopté une résolution (non contraignante) en juin 2017, appelant les Etats membres à adopter « la définition de l’IHRA ». Le 14 décembre 2018, le Conseil de l’UE – présidée par l’Autriche – approuve une déclaration, préparée par le Conseil Justice et Affaires intérieures, dont l’article 2 demande aux États membres d’adopter la « définition IHRA ». L’inclusion de cet article 2 a fait l’objet de nombreuses interventions du gouvernement israélien auprès du gouvernement autrichien comprenant des ministres d’extrême-droite.

De nombreux partis politiques, universités et autorités locales ont également adopté la définition dite « IHRA ». Sous la pression des lobbies, elle se veut être une nouvelle « référence » en matière de lutte contre l’antisémitisme, malgré sa nature ambigüe.

Où en est la France ?

Le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) exige la transposition de la définition dite « IHRA » en droit français depuis plusieurs années, bien qu’un arsenal législatif et juridique existe déjà bel et bien en France pour prévenir et réprimer l’antisémitisme (la loi Gayssot de 1990, la loi de 1972 sur la lutte contre tous les racismes, la loi sur la liberté de la presse de 1881 et le Code pénal). En outre, le CRIF tente d’assimiler à l’antisémitisme.

Si le président Emmanuel Macron a écarté la possibilité d’une loi criminalisant l’antisionisme, il a déclaré au dîner du CRIF le 20 février 2019, que la France « mettra en œuvre » la « définition IHRA », c’est-à-dire, selon lui, «  préciser et raffermir les pratiques de nos forces de l’ordre, de nos magistrats, de nos enseignants, de leur permettre de mieux lutter contre ceux qui cachent derrière le rejet d’Israël la négation même de l’existence d’Israël  ».

Ces mots sont repris dans la proposition de résolution déposée le 20 mai 2019 par le député Sylvain Maillard et d’autres députés français (en majorité LREM) et qui approuve la « définition IHRA ». La notion d’antisionisme est bien présente dans l’exposé des motifs.

Tout en réaffirmant que « critiquer la politique menée par les gouvernements israéliens, l’organisation de la société israélienne, émettre des opinions défavorables à Israël s’agissant du conflit israélo-palestinien, ne relève pas de l’antisémitisme », la résolution demande l’application d’une définition elle-même conçue par des lobbies pro-israéliens dans le but de délégitimer voire criminaliser les défenseurs des droits des Palestiniens.

Sans oublier que le 28 mai, veille de la date programmée pour le débat sur le projet de résolution, Sylvain Maillard recevait avec d’autres députés des représentants de colons israéliens, en totale contradiction avec la politique de la France opposée à la colonisation illégale du Territoire palestinien, pour discuter notamment de la résolution. La rencontre a été organisée par le réseau d’influence pro-israélien ELNET qui se vante de s’être «  particulièrement mobilisé et investi dans l’établissement et le suivi de cette résolution qui sera votée – et adoptée – dans les prochaines semaines par l’Assemblée Nationale ».

Autre paradoxe, la définition censée être non-contraignante, portée dans une résolution non-contraignante qui demande au gouvernement une « diffusion » (par essence non-contraignante) de la définition par le gouvernement a de forts risques d’avoir des effets très concrets et contraignants en pratique, comme cela a pu être observé dans d’autres pays. Les « exemples », dès lors qu’ils ne sont pas formellement exclus, sont en effet massivement utilisés par les groupes d’influence inconditionnels de la politique de l’Etat d’Israël pour délégitimer toute contestation de cet Etat et de sa politique.

Suite à un report de l’examen de la proposition de résolution pour des raisons d’agenda, le président du CRIF et des députés ont fait pression sur le Premier ministre et le président de la République pour faire avancer l’examen. Sans succès, puisque la résolution ne sera finalement examinée qu’en octobre 2019, selon le député Gilles Le Gendre, président du groupe LREM à l’Assemblée.

Pour aller + loin :

• Plateforme Palestine, « 3 raisons pour lesquelles les député·e·s doivent s’opposer à la proposition de résolution n°2403 »
• Association France Palestine Solidarité, La « définition IHRA » de l’antisémitisme : amalgame et manipulations
• Collectif National pour une Paix Juste et Durable entre Palestiniens et Israéliens (CNPJDPI), Non à la proposition de résolution déposée par le député Sylvain Maillard
• Union Juive Française pour la Paix,Observations de l’Union Juive française pour la Paix concernant la proposition de résolution n° 1952 « visant à lutter contre l’antisémitisme »
• CNCDH, Rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, 23 avril 2019
• ECCP (European Coordination of Committees and Associations for Palestine) et Free Speech on Israel, Six Reasons why no one should adopt the so-called “EUMC” or IHRA Working Definition of Antisemitism
• ECCP et Free Speech on Israel, The “IHRA Working Definition of Antisemitism” Fact-sheet and Recommendations

POUR AGIR, interpellez vos députés ici.


Visuel : Evénement de l’IHRA, European Parliament Working Group On Antisemitism



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